Marina Silva, nouvelle droite brésilienne
Le premier tour de la présidentielle au Brésil aura lieu le 5 octobre. Les deux candidates, Marina Silva et Dilma Rousseff, la présidente actuelle, sont au coude-à-coude dans les sondages. Mais qui est vraiment Marina Silva ?
VADIM KAMENKA
vkamenka@humadimanche.fr (1) Mémoire des luttes, www.medelu.org
La course à la présidentielle au Brésil se polarise autour de l'affrontement entre Dilma Rousseff et Marina Silva. Mais l'enjeu demeure le même qu'au Venezuela, en Bolivie, en Équateur et en Argentine : la continuité d'une politique progressiste ou le retour à un projet néolibéral déguisé. L'échec de Dilma Rousseff signifierait le retour triomphal de la droite dans un des plus importants pays d'Amérique du Sud (200 millions d'habitants). Car « là où le Brésil va, l'Amérique latine ira », affirmait, en son temps, le président Richard Nixon en 1971. Il ne faut surtout pas se tromper sur la victoire de Marina Silva : c'est « l'annulation de tous les progrès réalisés depuis 12 ans », affirme Samuel Pinheiro Guimaraes, ancien secrétaire général du ministère des Affaires étrangères du Brésil.
GRANDS GROUPES PRIVÉS
Derrière la candidate du Parti socialiste brésilien (PSB, centre droit), qui se présente comme une figure nouvelle, il y a des grands groupes privés opposés aux intérêts publics et aux droits sociaux obtenus au fil des années. Baisse du chômage, hausse du salaire minimum et des budgets de l'éducation et de la santé : Lula et Dilma ont permis d'accroître le niveau de vie de la population. « Il faut se rendre compte que 40 millions de Brésiliens ont pu sortir de la pauvreté depuis 2002. Bien sûr, le projet du Parti des travailleurs (PT), dont est issue Dilma Rousseff, n'est pas révolutionnaire et d'importantes inégalités sociales et régionales demeurent. Mais c'est dû au régime constitutionnel qui est un présidentialisme de coalition », rappelle le chercheur Jean Ortiz. Rousseff, faute de réforme, applique une poliyasuyoshi tique de conciliation, qui ne rogne pas sur les profits des entreprises, et ne bouscule pas les privilèges des puissants. « Cette politique est causée par la dépendance du PT vis-àvis du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB) au Parlement, qui limite sa marge de manoeuvre, et aux nombreux liens des parlementaires avec des grands groupes. Toute possibilité de changement politique avec le Congrès actuel est impossible », analysait le dirigeant du Mouvement des sans terre (MST), João Pedro Stedile (1).
SOUTENUE PAR LES MÉDIAS AUX MAINS DE PUISSANTS TRUSTS, SILVA SE POSE EN CANDIDATE ÉCOLOGISTE QUI ENTEND DÉPASSER LE CLIVAGE GAUCHE-DROITE...
MÉDIAS, L'ARME CLÉ
Du coup, les tensions sociales sont palpables depuis les grandes mobilisations en juin 2013. Pour Frédéric Louault, professeur à Sciences-Po et auteur de livres sur le Brésil, « cette colère n'était pas dirigée contre la politique de Dilma. Les frustrations étaient locales comme à Sao Paulo, un État dirigé par le PMDB ». Ces mouvements ont trouvé une place importante dans les médias. À l'instar des autres pays sud-américains, ces derniers sont concentrés entre les mains de familles puissantes et sont une arme clé dans la bataille idéologique. Ces médias soutiennent clairement la candidate Marina Silva qui joue sur son histoire personnelle pour se poser en candidate écologiste, qui entend dépasser le clivage droite-gauche... (Lire cicontre.)))) Son programme ne laisse pourtant guère de doute sur son orientation néolibérale : indépendance de la Banque centrale, réduction de l'investissement du pays dans le secteur énergétique (« présal »), sortie du Mercosur pour le remplacer par des accords bilatéraux et aucune opposition aux cultures transgéniques. Le sociologue brésilien Emir Sader explique : « L'autonomie de la Banque centrale est l'un des dogmes les plus fondamentaux du néolibéralisme. Cette autonomie provoque l'affaiblissement de l'État et le renforcement de la centralité du marché. La maîtrise de la politique monétaire doit servir le renforcement d'un modèle de développement économique recherchant une meilleure répartition du revenu national. Enlever cette capacité affaiblit toute la politique distributive. »
HARO SUR L'UNASUR
La candidate écologiste incarne donc cette « nouvelle droite » sud-américaine. Elle s'attaque aux alliances régionales (UNASUR, CELAC) en voulant relancer le traité de libreéchange avec les États-Unis – bloqué par la victoire de Lula en 2002 – et son équipe de campagne regroupe des anciens ministres des gouvernements de droite, comme Andre Lara Resenda, Giannetti da Fonseca ou Neca Setubal, l'héritière de la banque Itaú, une des plus grandes banques privées brésiliennes.
Buzz médiatique autour de la candidate de Washington
Silva défend l'Amazonie sans rien faire contre les barrages, les défrichages...
Des cheveux tirés en chignon serré, un large sourire, une silhouette de liane : Marina Silva apparaît comme la sensation de cette campagne présidentielle. Sa candidature surprise, après le décès du leader du Parti socialiste brésilien (PSB) dans un crash d'avion, a créé un véritable buzz médiatique autour de cette femme de 56 ans. Née dans une famille pauvre du nord du Brésil, Marina Silva devient orpheline à l'âge de 16 ans. Illettrée, elle gagne la capitale de l'État d'Acre, s'inscrit à l'école et fait des ménages pour survivre. Dix ans plus tard, elle décroche un diplôme d'histoire à l'université. « Il y a chez Marina Silva une reconstruction biographique qui la rend proche du peuple, explique Frédéric Louault, professeur de science politique des Amériques latines à l'université libre de Bruxelles. Elle raconte qu'elle a souffert de la faim, qu'elle a été empoisonnée par de l'eau au mercure. Cela fonctionne très bien face à Dilma Rousseff, issue des classes moyennes. »
DÉFENSE DE L'AMAZONIE
Son premier engagement politique porte sur la défense de sa terre natale : l'Amazonie. « C'est une représentante du "peuple de la forêt". Elle lutte au côté de Chico Mendès contre la déforestation et s'engage dans le Parti des travailleurs », détaille André Corten (1), directeur du groupe de recherches sur les imaginaires politiques en Amérique latine à Montréal. En effet, si aujourd'hui Marina Silva concourt sous la bannière du PSB, c'est bien au sein du PT de Lula qu'elle a grandi politiquement : conseillère municipale, députée, sénatrice, elle sera même ministre de l'Environnement pendant cinq années avant de démissionner. Officiellement pour des désaccords sur les questions environnementales avec le président Lula, « en fait, elle désirait se présenter à la présidentielle de 2010 », nuance Frédéric Louault. Elle y réalise d'ailleurs un très bon score, sous l'étiquette verte.
ÉVANGÉLISME ET...
Marina Silva, c'est aussi une religion mise sans cesse en avant : « C'est une évangélique pentecôtiste, comme près de 15 % des Brésiliens, cela peut être un atout, mais sa religion lui permet surtout d'apparaître comme plus "pure", moins corrompue que les autres candidats », détaillent André Corten. Toutefois, pour Gaspard Estrada, analyste politique à l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes, la foi de Silva est aussi une faiblesse : « Sa volte-face sur la question des homosexuels (2), pour plaire à l'électorat évangélique, pose réellement problème car son programme, déjà flou, se révèle changeant ! Toute la question est de savoir maintenant à quel point ses convictions auront un poids dans sa gestion des affaires. »
... THÈSES NÉOLIBÉRALES
Ainsi, celle qui entend incarner un « renouveau » politique défend aujourd'hui des thèses néolibérales : l'indépendance de la Banque centrale et le désinvestissement du MERCOSuR, entre autres. Des mesures qui reviendraient à mettre la politique monétaire du Brésil sous la coupe des marchés et à déplacer le centre de gravité du pays vers Washington... au détriment des pays du Sud. Bref, à faire un saut de 12 années en arrière.
(1) Auteur de l'ouvrage « le Pentecôtisme au Brésil », aux éditions Karthala. (2) Le programme initial de Marina Silva appuyait le mariage gay et les sanctions pénales contre l'homophobie, avant de faire marche arrière, affirmant qu'il s'agissait de la mauvaise version du programme.
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